L’aventure extraordinaire du cinéma direct commence presque simultanément dans trois pays : les États-Unis, la France et le Canada. Ici, c’est à l’ONF qu’elle prend son envol et elle est étroitement liée à l’histoire de l’équipe française. En effet, c’est avec cette nouvelle façon de faire du documentaire que les créateurs francophones vont, au début des années 1960, prendre leur place au sein de l’ONF et donner au cinéma canadien-français son identité.
Dans les années 1940 et 1950, les francophones sont peu nombreux, éparpillés dans différents studios, à peine reconnus et tenus de rédiger leurs scénarios en anglais. Mais voilà qu’à la fin des années 1950, la production de films en français s’intensifie, de nouvelles méthodes et techniques de tournage s’élaborent et une équipe de cinéastes et de producteurs se consolide avec la création d’un studio où, pour la première fois, tout se déroule en français.
Ces créateurs veulent rompre avec la manière traditionnelle de faire du documentaire. Alors que les films sont tournés avec des caméras lourdes et peu mobiles, un matériel sonore imposant et un éclairage sophistiqué, les cinéastes de l’équipe française tournent avec l’éclairage ambiant, des caméras légères qu’on porte à l’épaule et un magnétophone portatif capable de capter le son en direct et en simultané avec l’image.
Ils redonnent la parole aux gens qu’ils filment en laissant tomber la narration et les entrevues préparées à l’avance. L’utilisation de grosses équipes de tournage, où chacun est confiné à un rôle précis est aussi abandonnée au profit d’équipes restreintes et plus polyvalentes. Fini les scénarios et les tournages où chaque détail est prévu à l’avance! Il s’agit de se donner un maximum de liberté afin de saisir la réalité telle qu’elle se présente.
Que ce soit dans des courts métrages d’expérimentation ou dans des œuvres plus accomplies, les cinéastes du direct vont toujours privilégier un contact plus spontané avec la réalité, montrer les gens et les événements tels qu’ils sont, sans chercher à les embellir ni à leur imposer un discours.
Marc St-Pierre a étudié le cinéma, le théâtre et la philosophie. Il est conservateur de collection à l’Office national du film du Canada depuis 2004. Spécialiste de la collection française, il contribue à la programmation de films sur le site ONF.ca. Il y publie régulièrement des textes sur l’histoire de l’institution, ses films et ses artisans et propose des sélections de films aux internautes.
Premier long métrage documentaire de cinéma direct, œuvre phare du cinéma documentaire mondial, le film constitue certainement la consécration de l’équipe française à l’ONF. C’est aussi la rencontre de Pierre Perrault, l’homme au magnétophone, celui qui sait si bien faire jaillir la parole, et de Michel Brault, l’homme à la caméra, un des pionniers des techniques et de l’esprit du direct.
Denys Arcand propose un portrait de l’industrie du textile au Québec à la fin des années 1960. Croyant trouver un sentiment de révolte chez les travailleurs, le réalisateur découvre plutôt l’aliénation et la résignation. Sorti peu après les événements de la crise d’Octobre 1970, jugé trop subversif, le film est frappé d’un interdit par le commissaire de l’ONF de l’époque, Sydney Newman. L’interdiction ne sera levée que six ans plus tard.
Premier long métrage de Gilles Groulx, où le réalisateur intègre au film de fiction les méthodes du direct, qu’il a lui-même contribués à développer. Il fait appel à des acteurs non professionnels, utilise des dialogues improvisés, tourne en continuité et dans des décors naturels afin de retrouver la spontanéité et l’authenticité de ses films documentaires.
Deuxième volet de la trilogie de Pierre Perrault sur les habitants de l’Île-aux-Coudres, où le réalisateur propose à Alexis et Marie Tremblay, le couple de Pour la suite du monde, de faire un voyage en France, pays de leurs ancêtres. Ce voyage, tout comme la pêche aux marsouins pour la communauté dans le premier film, agit comme un catalyseur auprès du couple, révélant ainsi la nature profonde des personnages.
Deuxième coréalisation de Michel Brault et Pierre Perrault, le film s’intéresse à la lutte menée par les étudiants de l’Université de Moncton en 1968-1969 afin de faire reconnaître le français dans leur province. Terminé au printemps 1971 et présenté en janvier 1972 sur les ondes de Radio-Canada, le film suscita une nouvelle vague de contestations à l’Université de Moncton après sa diffusion.
Véritable acte de naissance du cinéma direct à l’ONF, ce court métrage de Michel Brault et Gilles Groulx indique la voie à suivre pour les cinéastes de l’équipe française. Le film qui, au départ, devait être un reportage de quatre minutes de la série Coup d’œil a failli ne jamais voir le jour! Après avoir vu les « rushes », Grant McLean ordonne qu’ils soient envoyés aux plans d’archives, n’y voyant rien d’intéressant. Gilles Groulx monte tout de même le film dans ses temps libres. Soutenu par les producteurs Tom Daly et Louis Portugais, le film évite la destruction et sort en 1958.
Un projet de Claude Fournier qui voit dans les combats de lutte présentés au Forum de Montréal une forme de théâtre populaire, où le public vient se libérer de son agressivité. Une idée qui, au départ, n’intéresse personne. Il faut la présence de Roland Barthes à l’ONF, qui abonde dans le sens de Fournier, pour que le projet prenne vie. Dans l’enthousiasme que suscitent le tournage et le montage du film, Fournier décide d’en faire une œuvre collective, perdant ainsi la paternité du film.
Plus qu’un film sur la boxe, ce court métrage de Gilles Groulx est une peinture d’un milieu social. Un milieu où Noirs, Blancs, anglophones et francophone sont dans la même misère et où l’on voit dans la boxe un moyen de se sortir de sa condition sociale.
Inspiré par le roman de Gabrielle Roy, Bonheur d’occasion, qui se déroule dans le quartier Saint-Henri, Hubert Aquin a l’idée de tourner un film sur la vie de ce quartier populaire de Montréal. Une douzaine de caméramans sont envoyés sur place et rapporte une quantité innombrable d’images. Pendant plusieurs mois, Claude Jutra tente d’en tirer un film, en vain. Entre-temps, Aquin quitte l’ONF. C’est Jacques Godbout qui reprend le projet et finalise le film avec la monteuse Monique Fortier.
Gilles Carle propose un portrait de la communauté italienne de Montréal. Le film garde quelques relents du cinéma documentaire traditionnel avec une narration qui parle au nom de la communauté filmée. Par contre, le travail de la caméra s’inscrit parfaitement dans le style du direct; une caméra à l’épaule qui bouge, participe à l’action et reste proche de son sujet.